• Un type d'écrit : la nouvelle

    Les enfants apprécient généralement le type d'écrit qu'est la nouvelle. A leur demande en voici certaines sur lesquelles nous avons travaillé.

    Il s'agit de nouvelles de Bernard Friot et de Philippe Delerm ("C'est bien...").

    Chacun de ces auteurs a sa spécificité : Bernard Friot raconte souvent des histoires un peu burlesques ; quant à Philippe Delerm, il met en valeur des petits plaisirs du quotidien. Il a également écrit des nouvelles du même genre pour les adultes : "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules".

    Voici quelques nouvelles de ces deux auteurs :

     

     Ketchup

      Pour  deux  personnes  (Karim  et  sa  mère) 

      

    Ingrédients  : 

      

    -  une  salade  de  carottes 

    -  du  bifteck  haché 

    -  des  frites 

    -  de  la  mousse  au  chocolat 

     -  une  grande  bouteille  de  ketchup 

     

      

    En  entrée,  il  y  a  de  la  salade  de  carottes. 

     Karim  demande : 

         - Maman,  je  peux  avoir  du  ketchup ?

          - Non,  dit  sa  mère. 

     Karim  soupire.  Mais  il  mange  ses  carottes.  Parce  que  c’est  bon,  même  sans  ketchup. 

     Ensuite,  il  y  a  du  bifteck  haché. 

         - Maman,  je  peux  avoir  du  ketchup ?  S’il  te  plait… 

         - Non,  dit  sa  mère. 

     Karim  soupire.  Mais  il  mange  son  bifteck  haché.  Parce  que  c’est  bon  quand  même  sans  ketchup. 

     Ensuite,  il  y  a  des  frites. 

          - Maman,  je  peux  avoir  du  ketchup?  S’il  te  plait,  Maman,  chérie… 

          -  Non !  dit  sa  mère. 

     Karim  soupire.  Mais  il  mange  ses  frites.  Parce  que  c’est  bon,  même  sans  ketchup. 

     Au  dessert,  il  y  a  de  la  mousse  au  chocolat. 

     Pour  rire,  Karim  demande : 

          - Maman,  je  peux  avoir  du  ketchup ? 

     Sa  mère  craque.  Elle  verse  un  litre  de  ketchup  sur  la  mousse  au  chocolat. 

    Karim  hésite.  Mais  il  mange  sa  mousse  au  chocolat.  Parce  que  c’est  bon,  même  avec  du  ketchup

     

     Bernard Friot

     

     Loup

    Pour deux personnes : Nina et le loup

     

    Ingrédients :

     

    - Une sorcière sur son balai

    - Un ogre avec un gros couteau

    - Une écharpe

     

    Nina n’arrive pas à dormir. Elle a peur des ombres qui dansent sur le mur, en face de son lit.

    Ha, Ha, ha, ha, c’est une sorcière sur son balai !

    Et puis, ho, ho, ho, ho, un ogre avec un gros couteau !

    Nina tremble, Nina frissonne.

    Hou, hou, hou, voila maintenant un loup ! Un loup de la nuit avec des oreilles pointues et une écharpe autour du cou.

    Nina tremble, Nina claque des dents.

    - Pourquoi trembles-tu comme ça ? demande le loup.

    - Parce que tu es un loup, dit Nina, et que tu vas me manger.

    Le loup éclate de rire.

    - Mais non, moi, je mange les ombres qui font peur aux enfants, je dévore les mauvais rêves et les cauchemars bizarres. Tu peux dormir tranquille. Ecoute, je vais te chanter une berceuse…

    Dou dou dou hou hou

    Lou lou lou hou hou

     

    La chanson est douce, hou, hou, si douce, Nina s’endort bientôt. Et dort toute la nuit sans rêves mauvais, sans bizarres cauchemars.

     

    Et au matin, quand elle se réveille, elle a une écharpe autour du cou.

     

    Lou lou lou hou hou

     

     Bernard Friot

     

    Fusée

    Pour trois personnes : Tom et ses parents

     

    Ingrédients

     - une fusée

    - la Lune, Mars et Jupiter

    - de la mousse au chocolat

     

    - Range ta chambre !

    Tom en a assez. Impossible de jouer, ici. Son père est entré et s’est mis à hurler :

    - Range ta chambre ! Sinon, tu es privé de télévision !

     

    Tom ne dit rien. Il ouvre la fenêtre, monte dans sa fusée et part sur la Lune.

    C’est bien, sur la Lune. On n’est pas obligé de ranger sa chambre. Mais il faut se laver dix fois par jour, de la tête aux pieds.

    Alors Tom remonte dans sa fusée et s’en va sur Mars. C’est bien, sur Mars. Pas besoin de se laver. Mais l’école dure de six heures du matin à dix heures du soir, samedi et dimanche compris.

    Alors Tom remonte dans sa fusée et s’en va sur Jupiter.  C’est bien sur Jupiter. Il n’y a pas d’école. Mais on mange des épinards matin, midi et soir.

    Alors Tom remonte dans sa fusée et retourne sur Terre.

    Il range sa chambre (un tout petit peu), puis va à la cuisine.

    - Où étais-tu ? lui demande sa mère. Je me suis fais du souci….

    - J’ai préparé de la mousse au chocolat, dit son père.

     

    - Finalement, c’est assez bien, sur Terre 

     

      Bernard Friot

     

     

    LOUP-GAROU

     

    Antoine entre en courant dans la classe.

    Il est en retard, comme d’habitude.

    - Monsieur, monsieur ! crie-t-il encore tout essoufflé, cette nuit j’ai vu un loup-garou.

    - À la télé ? demande Céline.

    - Mais non, en vrai !

    - Oh, arrête tes conneries, dit Fabien.

    - Il veut faire l’intéressant, dit Valérie.

    - Hou… hou… hou… loup-garou ! hurle Damien, pour rire.

    Le maître, lui, enfonce son bonnet sur ses oreilles.

    - Mais si, je vous jure, dit Antoine. Il était habillé comme un homme, mais j’ai vu ses pattes toutes poilues avec des griffes longues comme ça !

    - Et il avait du vernis sur ses ongles ? demande Aline en se tordant de rire.

    Toute la classe s’esclaffe bruyamment.

    Le maître, lui, de ses mains gantées de noir, redresse le col de son manteau.

    Antoine s’énerve :

    - Puisque je vous dis que je l’ai vu ! Même qu’il avait des oreilles pointues et deux grandes dents, là, comme un loup. Et ses yeux ! Tout rouges, comme du feu ! J’ai eu une de ces trouilles quand il m’a couru après ! Je me demande comment j’ai pu lui échapper…

    Mais plus personne ne l’écoute. Il attend un instant, puis s’assied, déçu, à sa place.

    - Taisez-vous ! crie le maître d’une voix rauque, animale. Les yeux cachés derrière d’épaisses lunettes noires, il regarde Antoine fixement et marmonne entre ses dents :

    - Toi, la prochaine fois, je ne te louperai pas !

     

     « Loup-Garou », Nouvelles histoires pressées, collection Milan Poche Junior / Bernard Friot / © 1992, Éditions Milan.

     

     

      

    ROXY

     

    Je voulais un petit chien.

    J’ai eu un petit frère.

    Je n’ai pas eu à discuter. Papa a dit :

    - Pas question de chien dans la maison, voyons, tu vas avoir un petit frère. Devine comment on va l’appeler : Simon ! Ça te plaît ?

     Ça ne m’intéressait pas. Mon chien, moi, je lui avais déjà trouvé un nom : Roxy.

    Quand le bébé est né, je n’ai pas voulu aller le voir à la maternité. Mais il est quand même arrivé à la maison.

    - Regarde comme il est mignon, ton petit frère, a dit maman.

     

    Alors, évidemment, j’ai été obligé de le regarder. Eh bien, moi aussi, je l’ai trouvé mignon. Il avait un petit museau tout ridé, de longs poils noirs sur le crâne et des pattes minuscules qu’il serrait très fort.

    Alors, je me suis approché et je lui ai dit doucement à l’oreille :

    - Salut, Roxy, c’est moi, François. Dis, ça te plairait d’être mon toutou à moi, rien qu’à moi ?

     

    Il a ouvert les yeux, Roxy, il m’a regardé, et j’ai compris que ça voulait dire oui.

    Depuis ce jour-là, on est copains, Roxy et moi.

    Avec mon argent, je lui ai acheté un os en plastique qui fait du bruit quand on appuie dessus. Papa a dit que c’était idiot, que ça ne plairait pas, à Simon. Mais c’était pas pour Simon, c’était pour Roxy. Et ça lui a drôlement plu. C’est son jouet préféré, il dort toujours avec.

    Quand il a été plus grand, c’est moi qui lui ai tout appris : à marcher à quatre pattes, à jouer avec une balle, à se cacher sous le lit… Chaque jour, je l’emmenais dans le parc et on s’amusait bien tous les deux : je lui lançais un bâton et il le rapportait en courant.

    Je lui ai aussi appris à aboyer. Le jour où il a fait « wouawoua » pour la première fois, papa était tout content. Il a téléphoné à toute la famille pour dire :

    - Simon commence à parler et devinez quel est son premier mot : papa !

     

    Des fois, il ne comprend rien, mon père.

    Mais samedi dernier, pauvre Roxy, ç’a été dur pour lui.

    Papa et maman sont rentrés du supermarché avec un panier plat en osier. Et dans le panier, il y avait un chien.

     

    - Tiens, m’ont-ils dit, c’est pour toi. Ton frère est grand, maintenant, tu peux avoir ton chien. Roxy, hein, c’est bien comme ça que tu voulais l’appeler ? 

    Roxy n’a rien dit. Il s’est seulement serré contre moi pour voir ce qu’il y avait dans le panier. Mais j’ai compris.

    Je l’ai fait grimper sur mes genoux, j’ai pris sa tête dans ma main, je lui ai gratté doucement le crâne et je lui ai dit :

    - T’inquiète pas, Roxy, c’est toi mon toutou à moi. Lui, ça sera juste mon frère, tu comprends ? On l’appellera Simon, d’accord ?

     Roxy m’a regardé droit dans les yeux, puis il s’est blotti contre moi.

     Alors, j’ai compris qu’il était d’accord.

     

    « Roxy », Nouvelles histoires pressées, collection Milan Poche Junior /Bernard Friot / © 1992, Éditions Milan.

     

    VOYAGER SUR UN PLANISPHÈRE

     

    Le planisphère est accroché au mur de la classe, à gauche du tableau. C’est une carte qui paraît immense parce qu’elle représente le monde entier, avec des lignes arrondies vers les deux pôles. C’est une carte magique, car elle voudrait être ronde et qu’elle est parfaitement plate. C’est comme si elle était à la fois ronde et plate, à la fois immobile et pleine de vertige. Cela fait longtemps sans doute que le planisphère est accroché là. Il paraît que, depuis, la Haute-Volta s’appelle Burkina Faso, mais c’est le monde quand même. Les lacs et les rivières sont bleu pâle, et les océans plus pâles encore. Les montagnes sont jaune moutarde, les déserts jaune citron. En vert, ça doit être les forêts, mais les plaines aussi – il n’y a quand même pas toutes ces forêts en France ! Tous les pays, tous les continents sont enfermés dans un quadrillage de lignes bleu foncé – les méridiens et les parallèles.

    Le planisphère est accroché là, mais on ne s’en sert presque jamais. C’est pour ça qu’on a presque oublié qu’il est là pour la géographie. En fait, le planisphère, c’est ce qu’on regarde en rêvassant quand on a terminé un devoir. Pendant les leçons aussi, quelquefois, on se met à voyager sur ces couleurs et sur ces noms : Antatanarivo, Addis-Abeba, Dar es-Salaam. Pour l’Amérique, un des noms qu’on préfère est Belo Horizonte, et aussi Medellín, qui n’a pas du tout l’air d’un nom de là-bas. Detroit, Boston, Baltimore... mer des Tchouktches, mer de Baffin, îles Aléoutiennes... Au début  on pense encore au nord, au sud, à la chaleur ou à la glace. Mais peu à peu, on y met des choses qu’on a dans la tête. Ce grand désert jaune citron, près de la Méditerranée, c’est le rendez-vous chez le dentiste, mercredi prochain, et la peur du dentiste devient jaune citron, aussi grande et enfermée que le Sahara. Le vert pâle qui couvre une bonne partie de l’Europe se met à flotter. Vert pâle est un peu amoureux, c’est si doux, si tranquille, sur la carte, à peine acidulé. Sur le planisphère, rien à craindre, personne ne se moquera de vous ; on peut rester longtemps amoureux sur tout l’espace d’un continent, on peut rester longtemps vert pâle, heureux et un peu triste.

    À côté, il y a un océan. C’est le bulletin  de notes qui va arriver à la fin du trimestre, avec toutes les mauvaises notes qu’on n’a pas encore annoncées. Il faudrait arrêter la fonte des glaces, et que le vert pâle soit plus fort que le bleu de l’océan.

     

    Philippe Delerm

     

     

    C’est bien d’aller dans un fast-food

     

    Les parents n’aiment pas trop ça. Ils disent que la nourriture n’est pas bonne, mais on sent bien que ce n’est pas cela qui les ennuie le plus. Non, ce qu’ils n’aiment pas, c’est les couleurs, le style, la vie américaine. On n’insiste pas trop – c’est très bon de sentir que les parents détestent cet endroit : du coup, on a beaucoup pl

     

     

    us envie d’y aller soi-même. Et puis un jour, en sortant du cinéma, il n’y a rien à manger à la maison, et voilà, les parents sont d’accord pour le fast-food – on n’aurait jamais pensé qu’ils se laisseraient faire aussi facilement. Au fast-food, tout est bien, et même déjà cette façon de faire la queue en plusieurs rangs. On a tout le temps de choisir sur les panneaux entre les différents hamburgers et de lire les noms de ces desserts mirobolants : strawberry sundae, lemon sundae. Au bout de chaque file, il y a une serveuse avec un képi en papier, vraiment comme dans certains films américains – s’il n’y avait pas les couleurs chaudes et gaies, on pourrait se croire dans une histoire policière. Tout est orangé, rouge, jaune brillant – difficile de croire que dans la rue c’est l’hiver et la nuit. Ce qui est très difficile, au fast-food, c’est de choisir vite entre grand Coca, Coca normal, grande portion de frites, petite portion. On n’avait pas fait attention à toutes ces différences, et c’est quand on se trouve juste devant la serveuse qu’il faut se décider. Enfin voilà, on a son plateau avec le hamburger curieusement emballé dans une sorte de coque en plastique. Mais le mieux, c’est peut-être les frites. Elles sont disposées dans un étui en carton qui ressemble à une boite de cigarettes ; et elles n’ont plus du tout l’air de frites habituelles. Pour le Coca, c’est pareil. On a bien fait de prendre grand Coca. Le pot de carton rouge et blanc est protégé par un couvercle. Avec une paille coudée, on perce le couvercle au centre – il y a une petite croix au bon endroit. Quand on remue le pot, on entend des glaçons qui s’entrechoquent. C’est comme un trésor de Coca mystérieux et glacial si on attend pour le boire. On se trouve une petite table libre sous une lampe qui descend très bas. On mange, on boit, ça passe un peu trop vite, mais on garde ces deux merveilles dans la tête : un Coca invisible et sa banquise de glaçons, un étui de frites à cigarettes.

     

     

    Philippe Delerm

     

     

    C'est bien de se lever le premier dans la maison

     

    En général, c'est un jour où l'on aurait pu dormir, un dimanche, par exemple ; mais justement, on n'a pas toujours envie de faire la grasse matinée. C'est bien de faire le contraire de ce que les autres attendent, et puis on sera fier quand les parents arriveront enfin et qu'ils seront très étonnés :

    - Déjà levé ? Et en plus tu as fait du café !

    On se réveille très tôt, à la fin d'un cauchemar. On regarde le radio-réveil. Six heures et quart un dimanche, c'est fou, mais on n'a plus du tout sommeil. On se lève, et tout de suite on s'habille.

    Si on se lève à cette heure-là, ce n'est pas pour traîner en pantoufles et en robe de chambre. Non, ce qu'on veut, c'est être déjà dans la vie quand les autres sont encore dans le sommeil. Le parquet craque un peu, mais on arrive à ouvrir la porte sans la faire grincer. Dans le couloir on n'y voit presque rien, mais on n'allume pas, et on marche à pas de loup jusqu'à la cuisine, le cœur battant, comme si on courait un grand risque.

    On entrouvre les volets. Il fait encore vraiment nuit, et pour longtemps. La cuisine est assez loin des chambres, alors on peut mettre la radio tout bas. Sur France-Info, ils sont déjà très réveillés, et c'est assez étrange d'entendre les résultats des matchs de football : le monde bouge à toute vitesse, mais la maison est pleine de silence. On se dit qu'on va prendre un bon petit déjeuner, mais finalement on préfère préparer d'abord le café des parents - s'ils se réveillaient avant, on n'aurait pas fait un exploit. II ne reste qu'un filtre à café dans le paquet. On se dépêche et on renverse du café moulu - en soufflant, il s'envole, et ça ne se voit plus.

    Voilà. Le café est fait. On se dit qu'il y aurait un exploit beaucoup plus fort : aller chercher des croissants pour tout le monde - la boulangerie ouvre à six heures et demie. Mais il faut d'abord trouver de la monnaie. A force de chercher dans tous les tiroirs, on finit par en avoir assez, avec pas mal de pièces jaunes.

    On enfile un pull, on prend la clé, et on n'oublie pas de refermer la porte à double tour - qu'est-ce qu'ils, diraient, s'ils se réveillaient ? Ils s'inquiéteraient, peut-être. Mais c'est bien de prendre ce risque - ça fait partie du jeu. Dehors, il fait très froid. On souffle devant soi des petits nuages, et on se sent tout à fait libre, léger, très différent des matins ordinaires. Il y a de la buée sur la vitrine de la boulangère. Les croissants au beurre sont meilleurs, mais on n'a pas trop d'argent, alors on prend moitié-moitié, pour ne pas être ridicule au moment de payer. Sur le chemin du retour, on prend un croissant dans le sac, et on le mange en marchant dans la rue bleue. Tout à l'heure, à la maison, ils seront à la fois un tout petit peu fâchés et très contents. C'est bien de se lever tôt le dimanche matin.

    Philippe Delerm

     

      

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :